mardi 13 novembre 2007

Faut-il un sauveur pour l'UQAM ?

Jacques Pelletier
professeur au département d'études littéraires de l'UQAM
paru dans Le devoir
édition du mercredi 7 novembre



Ainsi, à moins d'un retournement très improbable, Claude Corbo se retrouvera bientôt recteur de l'UQAM, pour un troisième mandat. Il s'agit là d'une première dans l'histoire de notre université, qui lui donnera l'occasion de réaliser, à l'aube de la retraite, un rêve qu'il caressait, paraît-il, à la fin du second mandat de son premier règne. Une auto-succession différée, en quelque sorte.


C'est la crise structurelle que connaît l'UQAM depuis une dizaine d'années -- sous la forme d'une entreprise de normalisation institutionnelle et bureaucratique sous Paule Leduc, sous celle d'une dérive immobilière aux effets catastrophiques sous Roch Denis --, qui lui aura ainsi servi de tremplin, lui permettant d'apparaître aujourd'hui comme une «sortie de secours» inespérée, voire comme un «sauveur». Cette candidature est-elle pour autant une «bonne nouvelle» pour notre université?

Au premier abord, je serais tenté de répondre affirmativement à cette question dans la mesure où l'analyse de la situation actuelle de l'établissement que propose Claude Corbo me semble tout à fait juste.

Il est clair que la crise actuelle, comme il le signale fort à propos, n'est pas seulement d'ordre financier: elle est plus largement une crise de gouvernance, une crise politique et, j'ajouterai, une crise culturelle ayant entraîné des choix institutionnels et organisationnels pour le moins troublants.

Il est de même évident que la dérive immobilière récente relève d'abord de la responsabilité de la direction en poste au moment où certains engagements plus que douteux, qualifiés d'«inappropriés» dans le langage officiel qui privilégie la litote, ont été contractés. La direction actuelle, composée pour la moitié de membres en poste sous Roch Denis, a tendance à attribuer la responsabilité de la crise soit à ce dernier, soit au ministère de l'Éducation, qui ne financerait pas suffisamment l'UQAM. Ce même ministère vient pourtant de lui retirer le fardeau de l'îlot Voyageur, son principal goulot d'étranglement, ce qui n'est tout de même pas rien.

Elle procède ainsi à un déplacement et à un transfert de responsabilités, à un déni qui, pour la masquer, ne fait pas disparaître pour autant une crise qu'elle a créée à tout le moins par son manque de vigilance au moment où l'ancien recteur, qui se prenait visiblement pour un autre, rêvait dans son délire mégalomane de recréer les fastes de Versailles ou de Fontainebleau à la seigneurie de Mascouche!

L'analyse de M. Corbo, sans complaisance, remet donc les pendules à l'heure, très clairement et sans faux-fuyants, dans un établissement où la pratique de l'euphémisme et du sous-entendu est considérée comme une grande vertu civique. Faut-il pour autant lui accorder le mandat qu'il sollicite sur un mode quasi plébiscitaire qui s'inscrit parfaitement dans le cadre de la culture institutionnelle dominante à l'UQAM?

On peut comprendre que, pour appuyer les mesures qu'il propose dans son plan d'action, il en éprouve le besoin. J'estime toutefois, pour ma part, qu'il faut se méfier comme de la peste de tout ce qui relève de la logique consensuelle, plébiscitaire et unanimiste qui préside trop souvent à la réflexion publique dans cette université et qui, tout récemment encore, a conduit à la constitution d'une sorte d'union sacrée autour d'une éventuelle candidature à la direction de l'actuelle rectrice intérimaire. Ce genre de réflexe interdit de véritables confrontations sur des enjeux clairement définis et débattus à visage découvert, au terme desquelles des choix vraiment éclairés et fermes peuvent être adoptés par des votes démocratiques sans unanimité factice.

Cette réserve est d'autant plus importante que plusieurs mesures du plan d'action soumis par Claude Corbo demeurent vagues, sinon carrément nébuleuses, à tout le moins dans leur formulation actuelle. Il mentionne ainsi, sans plus de précisions, une «révision du statut et des fonctions» des doyens, qui demeure dans un flou qui, hélas, n'a rien d'artistique.

Il évoque de même des «changements nécessaires» à apporter aux activités universitaires et administratives sans signaler ni ce que seraient ces changements ni en quoi ils seraient «nécessaires». Il demande aux syndicats et associations de négocier de bonne foi et «avec imagination», ce que ceux-ci voudront bien sans doute, mais qu'est-ce que cela signifie exactement? Une augmentation de la tâche d'enseignement, du nombre d'étudiants-cours comme moyens «d'augmenter les revenus de l'UQAM»? Un accroissement de la productivité, donc, mais à quel prix?

Ce sont là autant de questions qui appellent des réponses que Claude Corbo devra apporter durant la période de consultation qui aura lieu au cours des prochains jours. Ne pas les soulever, ce serait lui accorder un chèque en blanc, signé les yeux fermés, dans un mouvement d'aveuglement volontaire qui ne marquerait pas une rupture nécessaire avec une culture institutionnelle dont nous payons aujourd'hui le prix fort mais son simple prolongement et sa perpétuation dans un cadre nouveau.

Comme le signale lucidement le candidat lui-même, il n'existe pas de solution miraculeuse à la crise actuelle, et j'ajouterai qu'il n'existe pas d'homme providentiel non plus, par conséquent, pour en extraire une de sa cuisse de Jupiter. Il importe donc, et plus que jamais, de demeurer vigilant et de faire preuve d'esprit critique, y compris à l'endroit d'un hypothétique «sauveur».

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